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DELANOE Emile Marie
Le Capitaine au Long Cours Emile Delanoë, naquit
le 9 mai 1879 à la Ville Mignon en Saint Lunaire (Ille et Vilaine ).
Ayant obtenu son certificat d’études
primaires, il s’embarqua comme mousse vers l’âge de 13 ans. Il suivit plus
tard les cours de Monsieur Renault, Instituteur à Saint Lunaire, puis l’Ecole
de Navigation de Saint Malo.
Il navigue au cabotage sur divers bricks goélette,
de 1897 à 1899. Il accomplit son service militaire comme matelot, à Brest, du
10 octobre 1899 au 19 octobre 1900. Il navigua ensuite au long cours, comme maître
d’équipage, lieutenant, second, sur divers voiliers du 18 mars 1901 au 9
janvier 1906.Il fut diplômé officier de la Marine Marchande, le 27 juin 1906,
à Nantes. Du 1er juillet 1906 au 11 mars 1907, il embarque comme maître d’équipage
sur le 3-mâts BOURBAKI de Nantes. Il fut Capitaine à la Pêche à la morue,
sur le SAINT-YVES du 10 mars 1909 au 15 octobre 1909. Il embarqua comme second
du12 mai1910 au 10 mai 1912 sur le3-mâts LE PILIER de Nantes.
Il fut admis Capitaine au Long Cours,
Applications, à Saint Malo, le 26 mars 1913.Du 25 août 1913 au 8 juin 1914, il
navigua comme second sur le 3-mâts LA BANCHE de Nantes. Le 6 juillet 1914, il
obtint le commandement du trois-mâts LE PILIER, qu’il connaissait bien. Il
resta à bord de ce voilier jusqu’au 2 mai 1916, date à laquelle il fut
torpillé par un sous-marin allemand, l’U 45,à la sortie Ouest de la Manche.
Heureusement tout l’équipage fut sauvé le jour même, par un navire danois
et ramené à Liverpool. Ils furent rapatriés à St Malo, le 12 mai 1916.
Partis de Cardiff (Angleterre ), le 24 octobre
1914, il atteignirent le port de Montevideo (Uruguay ) le 26 décembre 1914 et
celui de La Plata (Argentine ) le 3 février 1915.Quittant La Plata le 28 février
1915, ils doublèrent le Cap Horn, sans trop de dommages et arrivèrent à
Callao (Pérou ) le 23 avril 1915.
Madame Delanoë et
sa fille Marcelle (Madame Hervy)
C’est à l’occasion de sa prise de
commandement du PILIER que le Capitaine Emile Delanoë emmena à bord du navire
son épouse et sa fille Marcelle, âgée de cinq ans. Ce qui leur valut de
doubler le terrible Cap Horn, en pleine guerre et permet à Marcelle Delanoë
d’être la dernière femme française à avoir franchi ce Cap à bord d’un
grand voilier et même l’une des dernières du monde probablement. Pendant que
LE PILIER poursuivait son voyage vers les Etats Unis, madame Delanoë et sa
fille repartirent pour la France, elles franchirent le Canal de Panama, ouvert
à la navigation en juillet 1914 et furent sans doute les premières Françaises
à effectuer ce passage.
Comment
je devins Cap Hornière
Texte
adressé de Dinan en janvier 1973 par Madame Marcelle Hervy Delanoë,
fille du Commandant Emile Delanoë.
Mon
père, Emile Delanoë, de St Lunaire, ayant obtenu son brevet de Capitaine au
Long Cours à l’Ecole de St Malo le 26 mars 1913, fut désigné, au début de
juillet I9I4, pour prendre le commandement du voilier LE PILIER de l’armement
J.B.Etienne de Nantes, pour succéder au commandant Jamet. Ce navire, du type
trois mâts barque, jaugeant 2579 tonneaux, avait une longueur totale de 79 m
55, une largeur de I2 m 25 et portait 2631 m2 de voilure. Son équipage
comportait une vingtaine d’hommes. Mon père connaissait parfaitement ce bâtiment,
puisqu’il s’était trouvé à bord comme second, pendant deux ans avec le
commandant Léonce David, de St Lunaire.
Le PILIER se trouvant en cours de déchargement au port de Waterford (Irlande du
Sud), il fut décidé que ma mère et moi-même accompagnerions le nouveau
Commandant jusqu’à son départ des Iles britanniques pour un nouveau voyage.
Nous nous embarquâmes à St Malo le 6 juillet et le 8, nous étions à bord.
La
guerre de 1914-1918 étant survenue au début août, nous restâmes à bord à
Waterford, puis nous fîmes mouvement sur Cardiff où nous fûmes à quai le 24
septembre. Mes parents ayant eu le chagrin de perdre ma petite sœur âgée de
huit mois qui était restée à St Briac, décidèrent que nous resterions à
bord pour le voyage vers l’Amérique du Sud.
Nous
quittâmes Cardiff le 24 octobre et, après une traversée sans histoire, nous
arrivâmes le 26 décembre à Montevideo. De là, nous repartîmes le 2 février
1915 pour arriver le lendemain à La Plata. C’était là la dernière étape
avant le grand départ pour le célèbre Cap Horn que les marins
n’affrontaient pas sans inquiétude. Ayant quitté La Plata le 28 février,
nous doublâmes le fameux Cap pour arriver à Callao (Pérou) le 23 avril, ayant
effectué une assez bonne traversée, marquée seulement par quelques dégâts
dans la voilure. En arrivant dans ce port, nous apprîmes que nous avions eu de
la chance de ne pas faire de mauvaise rencontre, car plusieurs navires venaient
d’être coulés par des corsaires allemands dans les parages des Iles
Falkland. Nous l’avions donc échappé belle !
Ma
mère attendant un heureux évènement pour le mois d’août suivant, il fut décidé
que nous rentrions toutes les deux en France. Laissant mon père à Callao nous
prîmes un vapeur qui nous amena au Canal de Panama. Nous fûmes probablement,
parmi les premières Françaises à franchir cet important ouvrage ouvert à la
navigation en août I914. Nous embarquâmes ensuite sur le paquebot français HAÏTI
à Colon et après une escale à Fort de France, nous arrivâmes à Bordeaux en
1915. C’est ainsi qu’âgée d’un peu plus de cinq ans, j’eus la chance
d’effectuer ce magnifique voyage, qui me permet d’être une des dernières
françaises ayant eu le privilège de doubler le terrible Cap Horn à bord d'un voilier. Quels souvenirs ai-je, conservés de cette traversée ?
Evidemment ce sont ceux d’un enfant... Je me souviens bien qu’aux abords des
Tropiques, des poissons volants; bondissant devant les marsouins, tombaient
quelquefois sur le pont. Ceux que les marins attrapaient faisaient de bonnes
fritures. !! J’ai gardé en mémoire la cérémonie du passage de la Ligne
avec les déguisements des matelots, chargés de mettre à la baille les
nouveaux passagers. Je revois aussi le requin péché avec un énorme hameçon
se débattant sur le pont et ouvrant sa terrible gueule armée de multiples
dents. Pendant les jours de calme; j’aimais beaucoup tenir compagnie à l’équipage
et ces rudes marins avaient plaisir à m'entendre répéter les ordres du
commandant : parer à virer, amarre fixe, amarre, volant. A Buenos Ayres, nous
visitâmes le zoo. C’était mon premier contact avec les singes,
les éléphants, la girafe, qui m’étonna par son long cou, et j’en garde un
souvenir émerveillé. A La Plata, nous assistâmes au carnaval traditionnel et
j’ai surtout conservé l’image du personnage figurant la mort avec sa faux
qui m’effraya beaucoup.
Je
me rappelle aussi la violence de la tempête, dans les parages du Cap Horn, avec
la houle qui faisait tanguer le navire, ce qui me donnait lieu à beaucoup de
difficultés pour me tenir debout dans la chambre de veille. Je me souviens
particulièrement d’un repas où la gamelle de soupe se renversa sur la table
à roulis, et étant tombée de mon siège, je reçus le potage sur la tête ! A
Callao, je revois les myriades d’oiseaux de mer planant dans le ciel, se
posant dans la mâture et dont il fallait se protéger des déjections en établissant
des voiles au-dessus de la dunette.
Après
notre départ, mon père continua son périple le long des côtes du Pacifique,
ce qui le conduisit jusqu’à Portland (Oregon).Il revint ensuite par le Cap
Horn et arriva à Londres le 10 février 1916. Ayant embarqué 3000 tonnes de
ciment, il repartit le 27 avril, mais le 2 mai 1916, à la sortie Ouest de la
Manche, il fut torpillé par un sous-marin allemand.Tout l’équipage
fut sauvé quelques heures après par un navire anglais, et tout le monde rentra
à Saint Malo le 12 mai 1916. C’est ainsi que se termina la carrière du beau
trois-mâts nantais LE PILIER.
Le
18 juillet 1916, mon Père prit le commandement du trois-mâts carré LAENNEC,
de la Société des Armateurs de Nantes, sur lequel il effectua plusieurs
voyages durant quatre années. Ce bateau fut vendu à l’Allemagne au début de
l’année 1921 et j’eus l’occasion avec mes parents d’effectuer sa dernière
traversée sous pavillon français, depuis le port de Limerick (Irlande)
jusqu’à Saint Nazaire. Il navigua plusieurs années sous pavillon allemand,
portant le nom d’OLDENBURG. Vers 1928, il fut revendu à des armateurs
finlandais, qui mirent des moteurs à bord et le baptisèrent SUOMEN JOUTSEN
(CYGNE DE FINLANDE). Après avoir été navire école, il est maintenant amarré
le long d’un quai à Helsinki et sert de Musée de la Marine.